Quelles sont les missions du centre de recherche clinique ?
Mon travail consiste à être un soutien dans la mise en place d’études cliniques. Cela part de la rédaction des protocoles de recherche jusqu’à leur soumission à la commission d’éthique, à la réalisation d’analyses statistiques et à la rédaction de manuscrits pour publication. En prenant en charge ces démarches, nous souhaitons faciliter le travail des cliniciens et les encourager à lancer de nouveaux projets. J’interviens également en support pour exploiter des registres qualité au niveau de l’Hôpital.
Quelle est, pour nos patients, la plus-value qu’apporte la recherche ?
Pour nous, la recherche clinique est un levier permettant de nous adapter aux patients et à leur mode de vie, et ainsi de leur offrir la meilleure qualité de vie possible tout en diminuant le coût global lié à la santé.
De quelle façon ?
Grâce à l’ensemble des données collectées, nous pouvons par exemple optimiser les parcours de soins pour éviter ou détecter la survenue de complications, grâce à l’identification de certains facteurs de risque (âge, comorbidité, activité, etc.). La recherche, associée à l’expérience du médecin, nous permet d’adapter le traitement pour restituer la meilleure qualité de vie possible en fonction des attentes du patient. On ne pose pas une prothèse de la même manière à une personne sportive de 50 ans qu’à une personne non-active de 85 ans.
Nous cherchons à fournir des soins à haute valeur ajoutée et de haute qualité, selon les principes du Value-based health care (VBHC), un axe central pour l’Hôpital de La Tour. On peut par exemple déterminer la valeur d’une intervention en comparant la qualité des soins apportés au patient (diminution de douleur, gain de mobilité, absence de complications, etc.) aux coûts directement associés. On a de cette façon déjà pu constater, notamment dans le cas des prothèses d’épaule avec le Dr. Alexandre Lädermann, que la prothèse la plus chère n’offre pas forcément une meilleure qualité de vie au patient à court terme. Des études plus poussées sont en cours afin de déterminer si cette dernière se révèle plus intéressante à long terme que la prothèse standard sur le même type de pathologie. On peut alors se baser sur des données précises pour faire les bons choix, plutôt que se reposer sur des critères plus subjectifs.
Les patients sont-ils généralement réceptifs à l’importance de la recherche ?
Aujourd’hui, 90% des patients hospitalisés acceptent que leurs données soient utilisées à des fins de recherche. C’est un facteur important pour le succès de la recherche. Si les patients d’aujourd’hui sont aussi bien pris en charge, c’est parce que d’autres avant eux, il y a 5, 10, 20 ans, ont donné accès à leurs données pour enrichir nos connaissances et optimiser les traitements. On parle beaucoup de la collaboration entre experts au sein de l’hôpital, mais sans la collaboration et le lien de confiance créé avec les patients, la recherche ne serait rien.
Le recueil de ces données était d'ailleurs l'un des axes à améliorer à mon arrivée, début 2020: Il y avait déjà des médecins très actifs en recherche, mais il fallait poursuivre nos efforts pour respecter au mieux les nouvelles exigences réglementaires tout en cadrant et facilitant l’accès aux données cliniques, via la mise en place d’un consentement institutionnel systématisé pour les patients. Nous savons maintenant tout de suite si un patient hospitalisé à l’Hôpital de La Tour a donné ou non son consentement pour que ses données soient réutilisées dans nos activités de recherche, ce qui est un net gain de temps et d’efficacité.
Avez-vous observé chez les cliniciens un regain d’intérêt grâce au soutien mis en place ?
Absolument ! J’ai pu constater à quel point l’aspect réglementaire pouvait être un frein. Rédaction de protocoles, soumissions à la commissions d’éthique… Il faut du temps et une large palette de compétences pour lancer une étude. Combien de patients faut-il ? Quels critères, quelles statistiques? Il y a beaucoup de détails à considérer. En les guidant ou en les déchargeant de ces aspects, je constate que beaucoup de cliniciens, notamment des médecins, viennent me voir pour lancer de nouvelles études cliniques.
Nous avons également travaillé à améliorer la portée de nos publications, en créant une page internet dédiée à ce sujet sur le site internet de l’Hôpital de La Tour et en finançant désormais la publication d’articles en open access dans les revues médicales. C’est un investissement, mais cela augmente significativement la visibilité de nos cliniciens en évitant que les lecteurs dans d’autres hôpitaux doivent payer pour accéder à nos études. Quelque chose s’est débloqué, qui nous a permis d’avoir une augmentation de plus de 40% du nombre de nos publications entre 2019 et 2020.
La recherche clinique est plutôt associée dans les esprits à des établissements universitaires. Est-elle perçue différemment dans un établissement privé tel que le nôtre ?
La recherche n’est certainement plus réservée aux hôpitaux universitaires ! Elle est partie intégrante de notre activité et est en lien direct avec nos programmes de formation médicale, comme le souligne Axelle Alibert, en charge de ces 2 départements. Nous menons en parallèle des projets de digitalisation, qui nous permettent de collecter facilement et automatiquement de nombreuses données que nous n’avions pas auparavant.
Ces données permettent de mieux suivre les patients pendant et après leur séjour, d’apprécier et d’évaluer leur évolution sur le plan clinique, fonctionnel, radiologique, etc. Nous pouvons ainsi mener des études dites « d’assurance qualité », grâce auxquelles nous pouvons nous autoévaluer et nous comparer aux performances publiées par d’autres hôpitaux dans la littérature scientifique. Cela nous permet d’améliorer nos connaissances sur certaines pathologies mais aussi d’identifier des points d’amélioration dans les parcours de soins.
Il n’est pas rare, à la suite de ce travail, que de nouvelles études débutent pour évaluer de manière objective les effets apportés par cette amélioration continue et identifier les patients qui risquent d’avoir des complications ou des résultats cliniques décevants. Nous pouvons ainsi les suivre plus attentivement pour améliorer leur prise en charge. Les établissements privés ont donc un intérêt évident à s’engager dans la recherche clinique.
Mais les axes de recherche ne sont pas forcément les mêmes ?
Comme on l’a vu, notre priorité va vers la qualité de vie des patients et les aspects médico-économiques. L’idée est d’optimiser les traitements au maximum, à travers une prise en charge pluridisciplinaire qui garantit la meilleure restitution de qualité de vie tout en évitant les complications. Par exemple, dans beaucoup de situations, la chirurgie peut drastiquement augmenter les coûts de prise en charge médicale du patient. Grâce aux résultats d'études cliniques, on peut identifier les patients pour lesquels un traitement conservateur fonctionnerait tout aussi bien à court terme et ainsi reculer autant que possible le traitement chirurgical. Encore une fois, c’est positif pour le patient mais aussi pour les coûts de la santé.
La recherche universitaire s’intéresse bien sûr à ces aspects, mais elle a davantage de ressources pour traiter des sujets beaucoup plus spécialisés.
Quels sont les prochains défis de la recherche à l’Hôpital de La Tour ?
Nous souhaitons renforcer nos partenariats avec d'autres institutions, aussi à l'international. Nous devrons également grossir progressivement pour suivre l’augmentation de la demande et des données recueillies grâce à la digitalisation. Les données que nous collectons constituent une mine d’informations précieuse, mais il nous faudra plus de ressources pour tout traiter.
Nous allons aussi développer notre utilisation de l’intelligence artificielle, pour tenter de prédire les échecs d'un traitement, les réadmissions, les réopérations. On pourra ainsi identifier à l'avance les patients qui auront le plus de mal à retrouver leur qualité de vie après un traitement et mieux les suivre, par exemple via des objets connectés, pour anticiper leur retour, ou pour individualiser le traitement afin qu'ils n'aient pas à revenir.
Propos recueillis par Yannick Richter, chargé de communication