Une nouvelle ère diagnostique grâce aux avancées en génétique ?
Les maladies génétiques rares qui touchent le développement du système nerveux forment un ensemble extrêmement hétérogène, tant par leurs mécanismes que par leurs manifestations. Plus de 7 000 maladies rares sont aujourd’hui répertoriées, dont environ 800 d’origine neurologique. Une part importante concerne le neurodéveloppement, c’est-à-dire la manière dont le cerveau et le système nerveux se construisent et fonctionnent au cours de l’enfance.
Dans ce contexte, l’errance diagnostique est fréquente. Près de la moitié des enfants présentant des troubles neurodéveloppementaux ne bénéficient pas d’un diagnostic précis. Entre les premiers symptômes et la mise en évidence de la cause génétique éventuelle, des mois voire des années peuvent s’écouler. Durant cette période, les familles consultent de nombreux spécialistes, répètent des examens parfois invasifs et restent sans réponse claire à leurs questions. Cette incertitude alimente l’anxiété, la culpabilité, parfois un sentiment d’isolement, alors même que les parents perçoivent depuis longtemps que « quelque chose ne va pas » chez leur enfant.
L’émergence du séquençage génétique a profondément transformé ce paysage. Le séquençage de l’exome (partie codante des gènes) et du génome entier permet désormais d’analyser en parallèle des millions de fragments d’ADN. Lorsqu’un variant est repéré, il est ensuite interprété, classifié et évalué par une équipe de généticiens et cliniciens quant à son potentiel pathogène.
Ces technologies représentent aujourd’hui un outil concret pour poser des diagnostics que l’on jugeait auparavant quasi impossibles. Elles permettent de mettre un nom sur une maladie, d’identifier une voie biologique perturbée, voire d’orienter vers des essais cliniques ou des programmes de recherche. Mais elles ne sont pas encore disponibles pour tous. Leur coût, la nécessité d’une expertise hautement spécialisée et l’organisation des systèmes de santé limitent encore leur généralisation à grande échelle.
Repérer tôt : le rôle clé des signaux d’alerte
Dans la pratique, le point de départ reste presque toujours le regard des parents, souvent premiers à détecter des signaux discrets. Chaque symptôme mérite une évaluation pédiatrique afin de distinguer variabilité normale et signes inquiétants. Certains « red flags » justifient une orientation en neuropédiatrie...
Or, ces spécialistes sont rares dans certains cantons, ce qui allonge les délais et augmente le risque de retard diagnostique. Cela souligne l’importance de former les pédiatres généralistes à ces signaux précoces pour accélérer l’accès aux investigations. Identifier la maladie ne résout pas tout, mais met fin au doute, permet de mobiliser les ressources adaptées et ouvre parfois l’accès à des essais ou réseaux spécialisés.
Vers une meilleure structuration des soins
Une fois le diagnostic posé, les défis persistent. La rareté de ces pathologies laisse peu de protocoles établis : les médecins doivent adapter leur prise en charge à des situations uniques et composer avec une forte incertitude. Les parcours de soins se construisent alors au cas par cas, en mobilisant de multiples disciplines.
Face à ces défis, la Suisse a engagé, depuis une dizaine d’années, une structuration progressive de la prise en charge des maladies rares. Le Registre Suisse des Maladies Rares, opérationnel depuis 2020, en constitue une étape clé en recensant les personnes concernées. L’une des évolutions attendues est la mise en place d’un centre de coordination en charge de la gestion des données. En septembre 2025, le Conseil fédéral a ainsi proposé une loi instaurant un registre fédéral obligatoire, incluant la déclaration systématique des nouveaux diagnostics. Ce registre renforcé, géré par le centre de coordination, permettra de mieux documenter l’épidémiologie des maladies rares en Suisse, de soutenir la recherche et les réseaux spécialisés.
Parallèlement, la Confédération et les cantons ont commencé à reconnaître et à soutenir des centres de compétences et des réseaux multidisciplinaires. Les hôpitaux universitaires y jouent un rôle essentiel. En Suisse romande, un exemple emblématique est le Centre CORAIL des HUG, inauguré en janvier 2023. Cette structure innovante accompagne les enfants atteints de maladies rares ou complexes et place les familles au cœur du parcours de soin. CORAIL coordonne les différents intervenants médicaux, paramédicaux et sociaux. L’initiative demeure cependant fragile, tributaire de ressources humaines et financières limitées.
Un autre pilier essentiel est l’accès à une information fiable et centralisée. Le portail international Orphanet joue ici un rôle de référence. La section suisse est coordonnée depuis les HUG et centralise les informations sur les maladies rares, les centres experts, les tests disponibles et les associations de patients, facilitant l'orientation des familles comme des médecins.
Un paysage thérapeutique en pleine mutation
Si beaucoup de ces maladies restent aujourd'hui sans traitement curatif, la recherche médicale progresse rapidement. Plusieurs approches thérapeutiques innovantes laissent entrevoir des possibilités nouvelles. Trois axes principaux se dessinent aujourd’hui : la thérapie génique, les antisens oligonucléotides (ASO) et le repositionnement de médicaments. Chacun illustre une manière différente de tirer parti des progrès de la génétique et de la biologie moléculaire.
La thérapie génique
La thérapie génique, tout d'abord, vise à corriger le défaut à l'origine de la maladie en introduisant une copie fonctionnelle du gène altéré ou défectueux. En Suisse, des centres comme le CHUV à Lausanne participent à des essais cliniques internationaux. Cette médecine de précision, bien que prometteuse, se heurte encore à des contraintes réglementaires, de coûts et de logistiques et pose des questions d’équité d’accès. Mais elles ouvrent une voie nouvelle : celle de traitements qui s’attaquent directement au défaut génétique à l’origine de la maladie, plutôt que de se limiter à la gestion des symptômes.
Les antisens oligonucléotides (ASO)
Les antisens oligonucléotides représentent une autre avancée majeure. Il s’agit de courtes séquences d’ADN ou d’ARN modifiées, conçues pour se lier de façon spécifique à l’ARN messager issu du gène en cause. En se fixant sur cet ARN, ces molécules peuvent en modifier l’épissage, restaurer une lecture correcte, diminuer la production d’une protéine toxique ou, au contraire, réactiver un gène sous-exprimé. Ce principe offre une grande flexibilité, car il est possible d’adapter finement la stratégie au mécanisme propre à chaque mutation.
L’un des aspects les plus innovants de cette approche est la possibilité de concevoir des traitements « N=1 », c’est-à-dire personnalisés pour un patient unique. Des chercheurs, notamment aux HUG, travaillent déjà sur des ASO ciblant des gènes impliqués dans des maladies rares de l’enfant, avec des premiers résultats encourageants. Les ASO incarnent l’une des voies les plus prometteuses de la médecine de précision pédiatrique.
Le repositionnement de médicaments
Le repositionnement des médicaments constitue une troisième voie tout aussi intéressante pour les maladies rares. Il s'agit d’utiliser des médicaments existants, afin de corriger les conséquences moléculaires d'une mutation génétique rare. La démarche commence par une analyse cellulaire pour identifier le défaut moléculaire induit par la mutation. À partir de là, des bases de données de milliers de molécules déjà sur le marché sont consultées et intégrées dans un séquençage pour voir si exploitation possible dans le cadre du gène malade.
Ce processus, mis en place par une équipe de l’UNIGE, a permis d'identifier plusieurs molécules prometteuses dans certaines encéphalopathies d'origine génétique. Un exemple particulièrement significatif est celui du gène GNAO1, dont les mutations peuvent provoquer des troubles moteurs sévères et des épilepsies précoces. La molécule identifiée pour stabiliser la protéine déficiente : le zinc. Ce dernier offre une piste concrète de traitement basé sur un repositionnement médicamenteux ciblé facilement administrable. Ce type de résultat montre comment il est possible, en s’appuyant sur des molécules déjà connues, de progresser plus vite vers des pistes thérapeutiques pour des maladies jusque-là sans option. Cette stratégie présente l’avantage d’accélérer les étapes de développement et de réduire les coûts, tout en ouvrant des perspectives pour un nombre significatif de pathologies rares.
Conclusion
Les maladies génétiques neurodéveloppementales rares se situent aujourd’hui à la croisée de plusieurs dynamiques. D’un côté, elles mettent en évidence les limites actuelles des systèmes de santé : rareté de l’expertise, délais d’accès au diagnostic, coûts,... De l’autre, elles bénéficient de progrès scientifiques, avec l’essor du séquençage génétique, le développement de structures de coordination comme le Centre CORAIL, et enfin l’arrivée de nouvelles thérapies ciblées qui témoignent d'une dynamique prometteuse.
La Fondation de l’Hôpital de La Tour engagée dans la recherche
La Fondation de l’Hôpital de La Tour s’engage activement en faveur de la recherche médicale, en soutenant notamment des projets innovants portés par des chercheurs de l’Université de Genève. C’est dans ce cadre qu’elle appuie des travaux en cours sur le repositionnement de médicaments. Vous aussi, vous pouvez contribuez à faire avance la recherche. Chaque don compte.